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Publication hebdomadaire (ISSN : 2110-6061)

Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Expression publique des enseignants-chercheurs

nor : ESRH2407278V

Avis du 29-3-2024

MESR - DGRH A2-1


Vu décret n° 2017-519 du 10-4-2017 ; arrêté du 1-3-2018 ; règlement intérieur du collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche

Le Collège, réuni dans sa formation plénière, a adopté, dans sa séance du 29 mars 2024, l’avis suivant :

Par courrier du 26 décembre 2023, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a saisi le Collège de déontologie d’une demande d’avis relative à l’expression publique des enseignants-chercheurs.

Dans sa demande d’avis, la ministre relève que les enseignants-chercheurs apportent une contribution essentielle au débat public et que leur expression publique a pris ces dernières années une résonance toute particulière, du fait notamment du fonctionnement des médias et des réseaux sociaux, et que les débats scientifiques, même entre pairs, se déploient aujourd’hui dans d’autres sphères que les enceintes académiques, en particulier sur les réseaux sociaux. Elle observe que, si plusieurs établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) se sont dotés sur le sujet de chartes élaborées de manière concertée et participative, il n’existe pas de document équivalent pour les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. Elle rappelle que le Collège, dans son avis du 17 février 2023 relatif à l’expression publique des chercheurs, a souligné que ces chartes assurent un juste équilibre entre la préservation de l’image de l’institution et la nécessaire liberté des chercheurs. Dans le souci de préserver la liberté d’expression tout en évitant les abus et dérives, elle invite en conséquence le Collège à réfléchir à une transposition aux enseignants-chercheurs des principes dégagés pour les chercheurs des établissements publics à caractère scientifique et technologique. Elle souhaite pouvoir disposer de l’avis du collège à la fin du mois de mars 2024.

Pour répondre à la demande d’avis, le Collège a demandé à certains de ses membres d’avoir un échange avec le président de France Universités et il a auditionné, en séance plénière, Mathias Vicherat, alors directeur de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, chargé par France Universités d’une mission sur la liberté académique, accompagné de Stéphanie Balme, directrice de centre de recherche à l’IEP, et de Marie-Cécile Naves, déléguée générale de France Universités.

Le Collège s’est intéressé à la situation dans d’autres pays, en particulier en Europe. Il est conscient que la liberté académique est actuellement menacée dans de nombreux pays, de façon parfois intense, mais aussi, et plus couramment, de façon diffuse, et qu’il est donc crucial d’en assurer la protection, particulièrement lors des périodes où la vulnérabilité est particulièrement importante, comme les recrutements et/ou le financement de l’activité scientifique et de formation.

Dès lors, à un moment où le monde scientifique tend à se polariser davantage, avec les tensions qui peuvent en résulter, et où de nombreux enseignants-chercheurs s’interrogent sur ce qu’ils peuvent légitimement dire ou écrire, même s’ils savent avoir le droit de le dire ou de l’écrire, il est particulièrement opportun de leur offrir des outils de référence.

Le Collège situe sa réflexion dans le prolongement de ses avis du 21 mai 2021 sur les libertés académiques et du 17 février 2023 sur l’expression publique des chercheurs et souhaite définir le cadre général à la discussion avant de proposer ses recommandations.

I. Cadre général

1/ Comme les avis du Collège le rappellent, la liberté d’expression des enseignants-chercheurs a un fondement constitutionnel. Elle découle du principe d’indépendance des professeurs d’université, que le Conseil constitutionnel a qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République dans sa décision du 20 janvier 1984. Cette décision précise que « les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties ». Réaffirmé dans une décision du 28 juillet 1993, le principe d’indépendance vaut pour tous les enseignants-chercheurs selon les décisions du Conseil constitutionnel du 6 août 2010 et du 21 décembre 2020. Le Conseil d’État l’a également qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République par ses arrêts du 29 mai 1992, Association amicale des professeurs titulaires du Muséum d’histoire naturelle, et du 22 mars 2000, Ménard.

2/ Ces principes constitutionnels trouvent leur écho à l’article L. 952-2 du Code de l’éducation, aux termes duquel « Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activité de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité ». Cet article ajoute : « Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs. »

3/ La liberté d’expression est ainsi un élément indispensable de la liberté académique individuelle. Elle diffère en plusieurs points importants de la liberté d’expression générique car la liberté d’expression « académique » trouve son fondement dans la qualité (présumée) de l’opinion et sa contribution (potentielle) à l’intérêt général. Pour cette raison, elle doit bénéficier d’un degré de protection particulièrement élevé. Cependant, cette protection a une portée circonscrite puisqu’elle concerne uniquement « la liberté d’avoir et d’exprimer toute croyance, opinion ou position théorique et de l’épouser d’une manière académique appropriée », comme le souligne le rapport cité dans l’article « Challenges to academic freedom as a fundamental right », publié en avril 2023[1]. Il est important de noter que la liberté d’expression académique, comprise dans ce sens, implique un « droit à l’erreur » : le simple fait qu’une opinion académique puisse être fausse (ou même qu’il soit démontré qu’elle est fausse) ne la prive pas en soi d’un (haut) degré de protection.

II. Recommandations

Le Collège rappelle qu’il a rendu deux avis : le premier, le 21 mai 2021, sur les libertés académiques sur saisine de la ministre, le second, le 17 février 2023, sur l’expression publique des chercheurs sur saisine du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnemment (Inrae). Le dernier avis préconisait un document commun sur l’expression publique des chercheurs et enseignants-chercheurs. Si les principes dégagés par ces avis constituent une base de travail, l’avis souligne la possibilité d’adaptation, compte tenu des spécificités des universités et des enseignants-chercheurs.

Le Collège souhaite donc apporter les recommandations et éclairages suivants :

II.1. Des principes communs dans l’expression publique des chercheurs et des enseignants-chercheurs

1/ On notera que, dans la mesure où les chercheurs des EPST ont statutairement une mission de formation, leurs missions et celles des enseignants-chercheurs sont très proches et ils relèvent d’une même communauté scientifique.

2/ Le Collège indique que les principes dégagés dans l’avis sur l’expression publique des chercheurs du 17 février 2023 s’appliquent aux enseignants-chercheurs.

3/ Le Collège constate que l’on retrouve des principes analogues dans des documents s’appliquant aux enseignants-chercheurs. La Recommandation de l’Unesco concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur (1997) énonce que « lorsque l’universitaire intervient oralement ou par écrit dans un contexte extra-universitaire sur des questions qui ne relèvent pas de sa spécialité, il veille à ne pas induire le public en erreur sur la nature de sa compétence professionnelle »[2]. La charte de déontologie des facultés de médecine indique que « Dans le cadre de la communication vers le grand public, et conformément aux règles déontologiques en vigueur, les enseignants doivent limiter leur prise de parole et publication à leur expertise professionnelle. Dès lors qu’ils expriment une opinion (idéologie, point de vue citoyen, engagement politique, culturel ou religieux), ils ne doivent plus s’exprimer au titre de leur fonction ou de leur institution et doivent exposer à quel titre ils s’expriment »[3]. Ce travail des facultés de médecine pourrait être généralisé à l’ensemble de la communauté. Ces principes sont convergents et s’appliquent aussi bien aux chercheurs qu’aux enseignants-chercheurs.

Par ailleurs, la charte de déontologie des métiers de la recherche, signée par l’ensemble des organismes de recherche, ainsi que par France Universités et de nombreuses universités, rappelle le principe suivant lequel « le chercheur (pris au sens de celui qui exerce une activité de recherche indépendamment du statut) exprimera à chaque occasion à quel titre, personnel ou institutionnel, il intervient et distinguera ce qui appartient au domaine de son expertise scientifique et ce qui est fondé sur des convictions personnelles. La communication sur les réseaux sociaux obéit aux mêmes règles »[4].

Ainsi fortement proclamée et protégée, la liberté d’expression des enseignants-chercheurs ne s’exerce pas moins dans le respect de leurs obligations déontologiques. Il incombe en particulier aux enseignants-chercheurs d’exprimer leurs opinions de manière argumentée et dans le respect de l’intégrité scientifique. Il leur appartient de faire preuve de tolérance, d’acceptation du pluralisme et de respect d’autrui. Toute forme d’attaque des personnes et tout propos violent sont à exclure.

4/ Par ailleurs, le Collège relève que, du point de vue de l’intégrité scientifique, il n’y a pas de différence notable entre expression publique d’un chercheur et expression publique d’un enseignant-chercheur : dans les deux cas, les exigences de l’intégrité scientifique concernent également cette dimension du métier qu’est la prise de parole dans l’espace public. Cela se traduit notamment par des exigences déjà explicitées dans l’avis du 21 mai 2021 relatif aux libertés académiques, auquel l’Office français de l’intégrité scientifique (Ofis/Hcéres) avait contribué.

Le Collège souligne que les bonnes pratiques en matière de recherche incluent les attitudes garantes de la qualité des débats scientifiques, tout particulièrement au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. L’intégrité scientifique repose dans ce domaine au minimum sur le principe de réceptivité à la critique par les pairs et sur le principe d’universalisme, qui renvoie ici au caractère impersonnel des critères sur lesquels doit être fondé le rejet ou l’acceptation d’une proposition scientifique. En garantissant la qualité et l’effectivité des processus de critique par les pairs, le respect de ces principes distingue le débat scientifique d’un simple débat d’opinion.

II.2. Les spécificités des enseignants-chercheurs

1/ Le Collège estime que la première spécificité réside en ce que leur expertise inclut non seulement le domaine de spécialité de leurs travaux de recherche, mais plus largement le domaine de leurs enseignements, domaines dans lesquels ils disposent de leur pleine liberté. En effet, l’article L. 141-6 du Code de l’éducation précise que « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique ».

2/ Une autre spécificité est celle de leur rapport à l’institution. À la différence des chercheurs, dont l’EPST est l’employeur, l’université n’a qu’une partie des prérogatives de l’employeur, même si les liens et le sentiment d’appartenance entre les universitaires et leurs universités se sont renforcés. Le Collège partage cependant le principe énoncé par la charte des doyens de médecine et les enseignants-chercheurs (déjà citée), qui consiste à éviter la référence à leur institution lorsqu’ils interviennent hors de leur champ de compétences. Par ailleurs, le Collège rappelle que l’expression publique des enseignants-chercheurs doit, comme indiqué dans l’avis sur les libertés académiques du 21 mai 2021, respecter « les traditions universitaires et les principes de tolérance et d’objectivité ».

3/ Le Collège rappelle que l’expression académique des enseignants-chercheurs peut avoir lieu soit au sein d’enceintes académiques, soit à l’extérieur de celles-ci. Dans ce second contexte, le Collège recommande que les universitaires évitent les sujets controversés qui ne sont pas en rapport avec leur champ d’expertise ou – lorsqu’ils le font – précisent qu’ils ne s’expriment pas en leur qualité professionnelle ou au nom de leur institution. Il estime à ce titre que contribuer au débat scientifique, dans son domaine de compétence, est différent d’exprimer une conviction de citoyen ou une opinion personnelle. Le Collège souligne que les enseignants-chercheurs doivent cependant pouvoir parler ou écrire en public sans craindre la censure ou la discipline institutionnelle, et que ni le personnel ni les étudiants ne doivent être sanctionnés, désavantagés ou soumis à un traitement moins favorable par l’université dans l’exercice de leur liberté qu’ils ne le seraient en tant que citoyens (Recommandation de l’Unesco concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur (1997), déjà citée, § 26).

Cependant, mentionner son titre et, plus encore, son établissement d’appartenance, implique un minimum de lien entre les activités professionnelles et l’opinion exprimée. Il est des cas dans lesquels mieux vaut s’abstenir de le faire. Une grande prudence est à observer dans l’usage des réseaux sociaux.

4/ Le Collège encourage les différents établissements d’enseignement supérieur à élaborer une charte relative à la libre expression des enseignants-chercheurs. Une large concertation sur une telle charte permet de sensibiliser chacun aux différents et souvent délicats aspects du sujet. Son adoption favorise le partage d’une culture commune et permet à tous de disposer d’un utile document de référence.

Enfin, le Collège souligne, comme il l’a indiqué dans son avis sur l’expression publique des chercheurs, la nécessité d’un travail d’accompagnement et de formation des personnels pour favoriser l’appropriation de ces principes déontologiques.

Cet avis sera rendu public.

Notes Contenus

[1] « Challenges to academic freedom as a fundamental right », Jogchum Vrielink, Koen Lemmens, Paul Lemmens and Stephan Parmentier, League of European Research Universities, advice paper n° 31 – avril 2023.

[4] La charte de déontologie et d’éthique de l’université de Poitiers mentionne explicitement cette charte nationale de déontologie des métiers de la recherche.

 

Le président du collège de déontologie,
Bernard Stirn

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